EFFONDREMENT & EVOLUTION  
         
          Sébastien JUNCA   
Dimanche 9 février 2020

SE METTRE AU VERT ?

Chaque jour qui passe apporte désormais son lot de nouvelles inquiétantes concernant le réchauffement climatique et les conséquences des activités humaines toujours plus nocives pour l’environnement et la biodiversité. Pour tous ceux qui, comme moi, pensaient pouvoir éviter les conséquences directes d’un effondrement social et économique à venir, les difficultés s’amoncellent. Cultiver son potager dans quelque vaste contrée isolée des grands centres urbains pourrait bien n’être plus qu’un rêve bientôt rejoint par la triste réalité mondialiste et ses insidieux poisons. On pouvait, à tors, penser que, loin des cités consuméristes ; loin des foyers industriels, économiques, politiques et idéologiques, sources de pollutions et de contagions autant chimiques que psychiques, on pouvait encore espérer échapper au pire. Qu’il était encore possible de vivre simplement, sainement et sobrement, en pleine harmonie avec mère nature. Pour autant, dans les faits, les choses ne vont pas de soi.
 
On récolte ce que l’on sème
 
Pour ceux qui espéraient vivre en quasi autonomie sur leur petit lopin de terre, autosuffisants aussi bien sur le plan énergétique qu’alimentaire, les effets pervers de la mondialisation et les conséquences du réchauffement climatique nous font revoir nos espoirs à la baisse. L’énumération semble ne plus finir des maux qui frappent nos paysages et nos campagnes. Tout d’abord des hivers qui n’en sont plus avec des températures beaucoup trop clémentes pour permettre l’éradication de nombre de parasites et d’espèces exotiques de plus en plus invasives et destructrices des différents biotopes. Des automnes également si doux que les arbres tardent à perdre leurs feuilles. Lesquelles deviennent, lors de brutales chutes de neige, autant de surfaces supplémentaires offerte à une neige excessivement chargée en eau. Le résultat cet hiver ne s’est pas fait attendre : hécatombe généralisée dans toute la région Rhône-Alpes au sein des différentes variétés d’arbres au feuillage de plus en plus persistant. Des coups de vents violents ont donné le coup de grâce à ceux qui avaient survécu à la neige.
 
Comme si cela ne suffisait pas, chaque année dorénavant, l’extrême douceur des hivers encourage un bourgeonnement précoce qui aura tôt fait d’être réduit à néant par quelque gelée un peu forte, cette fois-ci de saison, entre janvier et avril. Quelques nuits en dessous de zéro suffiront à interrompre toute fructification. Les caprices de la météo ne sont d’ailleurs pas les seuls à entamer le moral du plus téméraire des jardiniers. La raréfaction sinon la décimation des pollinisateurs, due à l’extrême pollution de l’air et des sols par les pesticides et autres humaines déjections, n’arrangera rien à la fragilisation et à la stérilisation de nos fruitiers. Les frelons d’Asie (
Vespa velutina) et les neonicotinoïdes continuent d’éradiquer les populations d’abeilles autochtones. Ajouté à cela, les étés de plus en plus caniculaires et le stress hydrique subit par les arbres. Ce stress suscitant à son tour le développement et la prolifération de nombreuses espèces d’insectes parasites ayant de moins en moins de prédateurs au sein des populations d’oiseaux en chute libre. Stress hydrique et invasions de parasites qui provoquent à leur tour des hécatombes au sein de nos forêts européennes. Autant d’arbres morts venant nourrir des incendies géants de plus en plus fréquents. Lesquels incendies ne font que rajouter aux gaz à effet de serre et au réchauffement climatique lui-même, etc., etc. J’allais oublier la prolifération des campagnols ou rats taupiers (Arvicola amphibius) dans nos potagers. Ces petits rongeurs ayant de moins en moins de prédateurs naturels tels que le renard roux (Vulpes vulpes) ou les rapaces nocturnes. Entre 600 000 et 1 millions de renards sont chassés chaque année en France. Sachant que ce canidé se nourrit pour 50 % de campagnols et autres petits rongeurs (rats, mulots, etc.), on ne s’étonnera pas de voir ces derniers pulluler dans nos potagers et ailleurs. Enfin, une autre calamité vient récemment de s’abattre sur les cultures et sur les potagers : « Le Tomato brown rugose fruit virus (ToBRFV) est particulièrement dangereux pour les plantes qui y sont sensibles. Ce virus peut en effet se transmettre par les semences, les plants et les fruits infectés, ainsi que par simple contact, survivre longtemps sans perdre son pouvoir infectieux, et aucun traitement ou aucune variété résistante n’existe aujourd’hui contre ce virus. Identifié pour la 1ère fois au Moyen-Orient en 2014, les signalements se multiplient depuis 2018 au Mexique, aux États-unis, puis en Europe et en Asie. » Source ANSES.
 
Le ver dans le fruit
 
Après tout cela, après toutes ces plaies, et pourtant la liste est loin d’être exhaustive, on aurait pu croire que les choses s’arrêteraient là. Que c’en était assez de tant de calamités. Que la terre avait assez souffert. Que les hommes auraient enfin compris leur inconscience et leurs erreurs passées. Hé bien non ! Et je crois, comme tout le monde au fond, que nous ne faisons que commencer à récolter ce que nous avons délibérément semé depuis plus d’un siècle et demi de culte voué au « progrès » et de dépendance librement consentie à nos sombres désirs. En effet, voila que je viens d’apprendre que notre ver européen (
Lombriscus terrestris) est aujourd’hui menacé par un autre ver (Obama nungara) accidentellement importé du Brésil par containers à destination des jardineries. Encore un des effets pervers – si j’ose dire – de nos sacro saintes croissance et mondialisation. Car non content de se reproduire à grande vitesse (10 larves par cocon), et de n’être apparemment utile à rien sous nos contrées, le plathelminthe se nourrit exclusivement, sinon préférentiellement de nos vers européens, infatigables travailleurs de nos jardins et de nos terres agricoles. Leur rôle est d’ailleurs prépondérant quant à l’enrichissement et à la fertilité de nos sols.
 
Depuis la multiplication des moyens de transports en même temps que leur démocratisation, chacun n’a cessé de vouloir voyager plus loin ou de faire en sorte que le monde vienne jusque chez soi, dans son jardin, sur son balcon ou dans son assiette. Depuis le maïs, le chocolat ou le café de Christophe Colomb, la pomme de terre de Parmentier, les épices ou le thé de Marco Polo (je résume bien sûr), nous n’avons cessé d’allonger la liste de nos désirs et de nos envies. Quand en plus, nombre d’aigrefins ont commencé à imaginer pouvoir s’enrichir en jouant sur notre propension maladive à succomber à toutes sortes de tentations, les dés étaient jetés. Tout est là depuis la nuit des temps. Depuis le mythe de la Genèse où Adam et Ève succombent au fruit défendu, en passant par le vol du feu par Prométhée. Tous nos maux nous viennent en définitive de notre éternelle insatisfaction. De croire encore et toujours que notre bonheur dépend de la satisfaction de nos infinis désirs lors qu’il dépend largement de notre capacité à donner du sens à nos vies.
 
Au-delà du mythe, c’est bien l’homme lui-même, de par ses choix, qui s’est retranché d’un paradis terrestre qu’il n’a eu de cesse de vouloir faire à son image. J’ai toujours eu du mal à comprendre cet acharnement à vouloir créer chez soi des jardins d’agrément au prix d’efforts et de peines infinies, lors que la nature nous offrait depuis que le monde est monde toutes les beautés imaginables. Quelle suffisance, quel orgueil et quelle prétention ! Quand nous aurons enfin compris que la nature seule, là même où nous vivons, est l’unique source de notre véritable bonheur, alors peut-être aurons-nous le sentiment d’avoir retrouvé notre Paradis perdu. Encore faudra-t-il que ce jour-là, la terre puisse encore donner des arbres, que les arbres donnent encore des fruits, et que les fruits ne soient plus « défendus ».

 
 



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