EFFONDREMENT & EVOLUTION  
         
          Sébastien JUNCA   
LE TEMPS DES METAMORPHOSES

Samedi 24 avril 2021

Nos progrès scientifiques et techniques sont inévitablement liés à nos progrès spirituels et à notre vision des faits et du monde. Aujourd’hui, nous saturons dans nos avancées technologiques. Du moins, dans leurs domaines d’application qui se limitent essentiellement à leurs aspects pratiques, ludiques, économiques sinon hégémoniques à l’endroit de la nature. Nous sommes encore et toujours, après vingt siècles d’un soi-disant progrès, dans cette optique cartésienne de domination de la matière lors qu’un véritable changement de paradigme voudrait qu’on en fasse notre alliée. Nous ne pourrons espérer quelque révolution scientifique ou technologique majeure sans une révolution psychologique et spirituelle qui lui serait proportionnée et adaptée. De la même manière que des Galilée, des Colomb, des Pasteur, Darwin ou Einstein ont su considérer les faits de manière résolument différente et divergente, il nous faudra, afin de susciter les progrès et les sauts technologiques à même de nous projeter dans un monde résolument nouveau que nous modifiions notre regard et notre relation au monde et à la matière. Seul un tel changement de vision sera à même d’entraîner à sa suite un changement de perception et de dimension.

Les nouveaux mondes tenus en réserve dans les infinis replis de la matière et de l’espace attendent que nous accomplissions le premier pas. Autrement dit, que nous fassions les progrès nécessaires et préalables à ces nouvelles vies qui nous sont promises. Aujourd’hui, nous ne sommes pas encore prêts. Une sorte de conversion spirituelle aux accents de métamorphose s’impose comme une initiation afin de mériter ou d’hériter en toute légitimité des mondes innombrables que l’univers, dans son infinie diversité est en mesure d’offrir à notre insatiable curiosité et volonté de connaissance.

Or, pour changer notre regard sur le monde, il nous faut avant tout changer la relation que nous entretenons avec lui. Développer à partir de soi une relation nouvelle faite de respect, de compassion, d’humilité, d’écoute et d’amour à l’endroit même de la vie et de son infinie diversité. Oublier également le pragmatisme et l’utilitarisme qui depuis plus de deux milles ans guident et dictent l’essentiel de nos comportements, de nos actions et de nos actes de prédation à l’endroit de la nature et de toutes les formes de vie. Changer notre regard essentiellement rationnel pour une vision par nature plus intuitive et créatrice. Laquelle sera susceptible de nous dévoiler des horizons tout à fait nouveaux, porteurs d’espoir et d’avenir pour notre espèce.

Élargir notre vision, notre perception ; consentir à nous laisser emporter par le flux et le flot de la vie. En accepter les exigences, les impératifs et les règles, mais pour mieux, grâce à cette nouvelle symbiose, nous laisser mener vers un destin de dimension supérieure à même d’octroyer à nos existences une signification nouvelle. Nous atteler enfin à la tâche et « préparer nos organes spirituels d’éternité comme le dit Jean Guitton, lesquels seront plus tard les instruments de notre communication et de notre équilibre ».

Ce changement de vision pourrait d’ores et déjà s’amorcer par une simple remise en question de notre espèce et du regard que nous portons aussi sur elle ; sur nous. Un regard tout pétri d’un anthropocentrisme aussi maladif que naturel et qui de fait, nous force à ne considérer l’univers et la vie qu’à partir d’un seul et unique point de vue : le nôtre. Lequel nous prive de toutes les autres perspectives et de tous les autres mondes qu’elles impliquent. Une forme de « regards croisés » qui nous permettrait d’aborder le réel avec une sensibilité autrement plus développée et une perception autrement plus riche, dense et complète du monde qui nous entoure. Se décentrer, se désaxer légèrement et changer notre point de vue renouvellerait incontestablement les perspectives qui s’offrent à notre espèce.

Ensuite, nous libérer de nos vieux concepts usés jusqu’à la corde. Nous affranchir de nos anciennes vérités sur la vie et le monde ; la matière, la conscience, l’esprit, l’âme et le corps ; la civilisation, le progrès, le bien, le mal, le visible et l’invisible, le réel et le néant… Autant de poids morts qui nous retiennent au fond de nos plus obscures certitudes comme au fond d’un cachot.

Nous ne progresserons pas au sein de cet infini océan parsemé d’autant de mondes qu’il y a d’étoiles sans au préalable nous laisser happer et porter par le flot puissant de la vie. Comme celui qui apprend à nager, il nous faut d’abord cesser de considérer cet « océan » comme un ennemi et accepter de nous y abandonner ne serait-ce que pour nous apercevoir que ce n’est qu’une fois que nous avons cessé de lutter contre cet élément fluide que nous nous apercevons qu’il peut nous porter et nous transporter sans plus d’effort de notre part. Accueillir la vie et les forces de la nature, c’est s’adjoindre leur puissance créatrice en même temps que les savoirs infinis dont elles sont porteuses.

De nouveaux mondes, de nouvelles vies nous attendent dont l’imagination humaine à travers les mythologies modernes a déjà largement dévoilé les premiers contours. Mais ces infinis trésors que la création et la vie elle-même, miracle des miracles, sont à même de nous offrir, nous ne les obtiendrons pas par la force, comme nous l’avons fait jusqu’à présent. Pour accéder à ces puissances et à ces savoirs, à ces univers, à ces aptitudes et à ces dimensions nouvelles, il va nous falloir passer une nouvelle initiation dont le maître mot ou la formule incantatoire sera un savant mélange entre renoncement, respect, confiance et amour.

De la même manière qu’à certaines époques géologiques, des formes de vie ont su s’adapter et mettre à profit certaines caractéristiques de la matière pour inaugurer de nouveaux espaces de développement ; nous devons nous-mêmes nous forger de nouveaux organes propices à nous emmener vers de nouveaux horizons. À l’image de nos plus lointains ancêtres qui ont su tirer parti des forces de la nature (l’eau, le vent, le feu, les étoiles…) pour survivre et partir à la découverte de notre planète ; pareillement, nous avons encore à découvrir de nouvelles forces et de nouvelles propriétés de la matière. Lesquelles seront à même de nous porter plus loin encore à la rencontre de notre destin et de notre vérité. Mais pour ce faire, nous avons encore à vivre quelque métamorphose, fruit de la rencontre entre une véritable volonté de changement et des évènements extérieurs, nécessités ou contraintes même, comme autant d’opportunités.

Nous sommes désormais trop à l’étroit au creux de notre humanité actuelle. Nous aspirons à d’autres dimensions, aussi bien matérielles que spirituelles. Nos vieilles certitudes deviennent autant de peaux mortes qui nous entravent et nous blessent comme la cuticule emprisonne la chenille appelée à devenir papillon. À n’en pas douter, nous amorçons à l’échelle de notre espèce le début d’une métamorphose. Laquelle comporte inévitablement une part de risque, de vulnérabilité et d’imprévu qui nous imposera un surcroît d’énergie pour qu’elle parvienne à son terme.

À l’heure où le robot Perseverance explore la surface de Mars afin de poser les premiers jalons d’une prochaine expédition vraisemblablement humaine, sommes-nous véritablement prêts à investir ces nouveaux mondes vierges de toute vie et fragiles ? Avons-nous pour autant atteint la maturité qui nous autoriserait à ces prochaines grandes conquêtes spatiales ? On peut raisonnablement en douter au vu d’une planète ravagée, dévastée, exsangue que nous laisserions derrière nous comme de vulgaires parasites friands de toute forme de vie susceptible d’assouvir nos besoins les plus primaires et nos caprices les plus fous. J’ose espérer que la nature est suffisamment bien faite pour que, dans son infinie sagesse, elle ne permette pas à l’homme d’aller plus loin dans sa soif infinie de conquêtes, que la poignée de planètes de notre système solaire.

Je suis pour ma part convaincu que nous ne parviendrons pas à découvrir les moyens technologiques ou naturels qui nous permettraient de pousser plus loin notre contagion sans que notre espèce n’ait au préalable effectué, en son cœur, les progrès, les changements, les révolutions d’ordre spirituel et les métamorphoses qui s’imposent. J’espère de tout mon cœur que l’un n’ira pas sans l’autre, autant pour le bien de l’humanité que pour celui de notre bien malade planète et de tous ces mondes que nous sommes potentiellement à même d’infecter et de faire disparaître avant même de les avoir véritablement découvert.
 
Un pas de géant  pour l’humanité

À l’heure où Perseverance continue d’explorer la surface de Mars et où Thomas Pesquet rejoint pour la seconde fois la Station Spatiale Internationale grâce au vaisseau Crew Dragon de la société Space X d’Elon Musk, on peut se poser la question de savoir quelles sont, encore aujourd’hui, les différentes réflexions aussi bien éthiques, morales, bioéthiques, philosophiques et même, pourquoi pas, métaphysiques, susceptibles de baliser un tant soit peu cette débauche technologique et cette ivresse liées à l’exploration spatiale ? Quelles seraient les bornes à nos futurs et très probables comportements de prédation, passées les limites de notre planète ? Avons-nous seulement réfléchi aux différents impacts que suscitera et que suscite déjà une conquête spatiale d’à peine plus d’un demi siècle ?

« L'
United States Strategic Command, recense en 2019, 5 400 objets de plus de 1 m en orbite géostationnaire, 34 000 objets de plus de 10 cm circulant en orbite basse (dont 5 000 satellites et 2 000 satellites actifs), et, selon un modèle statistique de l'ESA 900 000 objets de plus de 1 cm et 130 000 000 objets de plus de 1 mm. Les débris spatiaux sont progressivement éliminés car leur altitude diminue en raison de la perte de vitesse due aux frottements dans l'atmosphère résiduelle. Ils finissent par brûler dans l'atmosphère terrestre lors de leur rentrée atmosphérique. Mais leur nombre est en augmentation constante du fait de l'activité spatiale (notamment le lancement de nano-satellites) et d'une élimination naturelle très lente dès que leur orbite dépasse 700 km. » (Source Wikipedia).

Enivrés par nos exploits technologiques et nos plus récentes découvertes, avons-nous seulement réfléchi où tout cela est susceptible de nous emmener ? À quel prix ? Pour quelle suprématie financière et technologique ? Sur qui ? Pour quoi ? Pour qui ? Les enjeux sont-ils à ce point à la hauteur des risques encourus ? Non seulement ceux pour lesquels les experts se sont sans doute préparés ; mais aussi tous les autres, encore largement ignorés sinon sous-estimés. Un journaliste commentant l’arrimage du vaisseau de Space X à l’ISS soulignait par cette performance ce dont l’homme était capable. C’est oublier un peu vite, dans le ferveur du moment et la beauté des images ce dont Homo sapiens est aussi capable en termes de prédation, d’extermination, de destruction, d’exploitation, de reniement, de manquement à la parole donnée, de mensonge... la liste semble infinie.

Attendons nous à voir d’ici quelques décennies les planètes du système solaire à leur tour assujetties aux caprices mortifères d’une espèce à peine sortie de la prime enfance. Avons-nous seulement retenu les leçons du passé ? Avons-nous seulement imaginé que cette soif de conquête de la part des nations les plus puissantes sera à même de produire les mêmes effets délétères ? Comment les nations se partageront-elles la Lune, le sol martien et ses potentielles richesses minières ? Et ainsi de planète en planète… Quel organisme international sera en mesure d’arbitrer, de légiférer, de trancher et de sévir quand on voit à quel point l’ONU est aujourd’hui bien impuissante à imposer sa parole au sein des nations terrestres ? Aucune charte, aucune éthique, aucune philosophie ou autre règlement international ne semble avoir été préalablement établi afin d’éviter de réitérer les erreurs passées et de faire en sorte que la conquête spatiale se poursuive sous les meilleurs hospices.

On me rétorquera qu’il existe bel et bien, au sein de l’ONU justement, un traité international dit Traité de l’espace, ratifié en 1967 par les États-unis, le Royaume-Uni et l’Union Soviétique. Il fût signé par la France le 5 août 1970. L’article II du dit traité insiste sur la non appropriation de l’espace et des corps célestes qui le parsèment «  par proclamation de souveraineté, ni par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par aucun autre moyen. » (Source Wikipedia). Pour autant, ce traité ne mentionne nulle part l’interdiction d’exploiter les ressources extra-terrestres. Or, exploiter est bien un acte effectif d’appropriation de la même manière que les colons des temps jadis se sont naturellement appropriés des terres par leur travail d’élevage, d’agriculture et de transformation des territoires.

Le droit spatial s’inspire d’ailleurs du droit maritime international qui stipule que les océans, hors limite des eaux territoriales, n’appartiennent à personne. C’est implicitement admettre de manière assez hypocrite, qu’ils appartiennent à tous. L’exploitation outrancière des ressources pélagiques depuis les débuts de la pêche industrielle en est la plus criante démonstration. Ajoutons à cela qu’en novembre 2015, sous l'administration Obama, "une loi américaine baptisée SPACE Act rompt unilatéralement le Traité de l’espace et autorise les entreprises des États-Unis à s’emparer des ressources de l’espace." (Source Wikipedia). CQFD. Toute loi est implicitement faite pour être contournée par ceux-là mêmes qui la votent.

Enfin, et pour en finir tout à fait avec les bonnes intentions originelles, le 6 avril 2020, Donald Trump signe un décret autorisant l’exploitation commerciale des ressources spatiales, à commencer par la Lune. "Ce décret se base sur le fait que les Etats-Unis ne considèrent pas l'espace comme un patrimoine commun de l'humanité. Et que les ressources qu'ils recelle appartiennent ainsi à celui qui en lance l'exploration. Il encourage donc l'entreprenariat tant public que privé, à exploiter librement les ressources situées dans l'espace." (Source ouest-france.fr).

Les plus riches nations se sont lancées dans la course à l’espace sans davantage se définir une autre ligne de conduite que celle du profit, de la domination militaire et économique, des avancées technologiques et de leurs retombées commerciales. À l’heure où la Chine fait main basse sur la plupart des richesses de la planète, Mars à son tour fait l’objet de toutes ses convoitises. Comment contenir l’appétit de près d’un milliard et demi d’individus avides de progrès technologiques, de confort, de luxe et de consommation ? Pour autant, et quand bien même ses moyens soient démesurés, la Chine ne rattrapera jamais seule plus de 70 ans de conquête spatiale et d’expériences acquises dans ce domaine par les autres grandes nations historiquement impliquées dans la course.

C’est heureux car cela sous-entend que pour avoir leur part du gâteau spatial, il faudra bien que les États, à l’instar de la Chine, se joignent les uns aux autres pour pouvoir progresser. L’aventure spatiale n’est en aucun cas une aventure en solitaire. La réussite de l’ISS depuis plus de vingt ans en est le plus bel exemple. Et plus les objectifs seront ambitieux et coûteux en moyens, plus la nécessité de s’unir pour les atteindre s’imposera comme une évidence.

À l’échelle du vieux continent, ce n’est pas tant parce que les pays européens étaient en paix que l’Europe des nations a pût naître en 1950, mais bien parce que la CEE s’est construite que les pays qui la constituaient ont vu leurs relations se pacifier. On peut logiquement supposer que la nécessité pour les différentes nations de s’unir en vue d’atteindre les grands objectifs de la conquête spatiale les portera naturellement à apaiser leurs relations par la mise en commun de leurs forces de création, de réflexion et de travail. Forme de symbiose d’un niveau supérieur pour une espèce qui, pensant trouver des réponses au-delà des limites de sa planète mère, aura pour le coup fait un pas de géant vers l’accomplissement de son humanité.
 
 



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