EFFONDREMENT & EVOLUTION  
         
          Sébastien JUNCA   
 


LE FLEUVE DE LA VIE

Dimanche 30 septembre 2022

« Les chances que l’humanité disparaisse sont très élevées. L’homme a violé plein de lois de la vie. J’espère qu’il y a assez de gens capables de nager à contre-courant. Je parle à ceux qui peuvent nager de toutes leurs forces. Peut-être ne le savent-ils pas encore. Mais tôt ou tard, le fleuve de la vie viendra les chercher. Soit il les emportera dans l’oubli, soit ils se mettront à nager. »

Sergei Zimov,

Retour à l’âge de glace. L’hypothèse de Zimov. Arte.tv


L’homme dénaturé

« Nous avons mangé tout notre pain blanc, le pain noir reste à venir… il sera bien grillé » me répond un chauffeur de taxi lors que nous devisions, l’espace d’une course, sur le réchauffement climatique, ses causes et surtout, ses immédiates et déjà accablantes conséquences en cet été caniculaire 2022. Tout en discutant j’observe l’intérieur cossu et hyper-technologique de son véhicule haut de gamme. Une de ces nombreuses contradictions qui nous voient nous lamenter sinon nous révolter contre nos agissements délétères à l’encontre de l’environnement tout en continuant à justifier nos comportements individuels à l’origine de ces calamités collectives.

La révolution industrielle et la mécanisation à outrance, notre détachement progressif de la nature, notre éloignement affectif d’icelle, ont permis une surproduction sans vergogne accompagnée d’une exploitation outrancière des ressources forestières puis minières, pétrolifères et animales ; enfin humaines sans plus d’états d’âme. Aujourd’hui, la numérisation exponentielle de la plupart de nos activités professionnelles autant que privées ; la robotisation et la mise à toutes les sauces de l’« Intelligence Artificielle » vont finir de nous isoler sans retour possible de cette mère nature qu’on assassine par ignorance, désaffection, aveuglement et insensibilisation. Mais aussi de par cet attrait magique, cette fascination malsaine que la technologie opère sur nos esprits égarés, insuffisamment préparés voire immatures.

L’agriculture elle-même, auparavant poste avancé de notre relation déjà ambiguë à la terre mère, devenue terre exclusivement nourricière ; à une nature déjà domestiquée sinon réduite en semi-esclavage, se robotise et se numérise elle aussi. Et toujours sous le même prétexte d’un « mieux produire » pour un « mieux vivre » pour tous. On sait les résultats peu probants dans nos assiettes et les ravages dans nos contrées depuis longtemps déjà dénaturées. Or cela n’est pas fini puisque l’ambition de nos gouvernements n’est-elle pas d’accélérer ce processus en opérant des investissements massifs pour une agriculture dite « du vingt-et-unième siècle ? Une agriculture en lien direct avec un réseau satellitaire qui aura fini de recouvrir sinon d’isoler notre planète comme une camisole de force isole un malade du reste du monde, le privant dans le même temps de tout espoir de guérison. Sorte de prothèse absolue censée, une fois encore, nous aider à mieux vivre, sans trop vraiment savoir ce que recouvre cette idée, mais qui, insidieusement, nous coupe du monde, de l’univers, comme le scaphandre coupe le plongeur de son environnement immédiat. Sous prétexte de rentabilité et de performance nous descendons de plus en plus profondément dans notre exploration de la Terre et l’exploitation de ses ressources. Ce faisant, par le biais d’une technologie que nous tenons pour indispensable autant que miraculeuse, nous en diminuons chaque fois davantage notre perception, notre relation et donc nos chances de compréhension dont dépend aussi notre survie collective. Car tous ces artefacts technologiques nous coupent – est-il encore nécessaire de le souligner – d’une connaissance directe, intuitive autant que sensitive. Autrement dit intime et donc authentique du monde dans ses plus vastes dimensions.

La dynamique du changement

En définitive, ne sommes-nous pas en train de forger les outils de notre propre extinction de masse et par là même, aussi paradoxal que cela puisse paraître, de notre prochaine métamorphose ? Il serait toutefois naïf de croire que l’ensemble de la population humaine sera apte à passer le cap de cette transition, de ce changement de paradigme qui s’impose naturellement à notre espèce. Une purge préalable s’impose, comme ce fût le cas par le passé pour d’autres espèces au moins aussi invasives que la nôtre au cours des temps géologiques. Or, ce changement désormais, c’est nous mêmes qui en définissons les termes et les modalités à travers nos comportements collectifs. Contrairement à ce que dit Bergson, ne serait-ce pas en œuvrant exclusivement pour soi, le plus égoïstement du monde, qu’inconsciemment nous œuvrons à plus long terme pour l’avenir de l’espèce ? C’est en laissant libre cours à ce penchant naturel sans âge qu’est l’égoïsme, la recherche du plaisir et du bien-être pour soi, que nous activons des processus et mettons en branle des mécanismes plus vieux que le monde lui-même et qui sont ni plus ni moins ceux de l’Évolution, autrement dit de la Vie.

Nous savons que les progrès des sociétés occidentales sur le plan sanitaire, technologique, socio-économique, agricole, industriel, spatial, stratégique mais également sur le plan des communications, des transports, des réseaux, des idées, des concepts… se sont considérablement accrus au cours des deux derniers grands conflits mondiaux. Du moins ont-ils été pour certains, initiés par ces conflits dont les destructions massives ont permis la réalisation. Certaines découvertes majeures y ont trouvé un terreau favorable. Ces conflits ont été des accélérateurs des processus de complexification et de croissance de l’espèce ; d’expansion plus que de réelle civilisation. Car de ce côté, ont peut encore constater aujourd’hui que nous en sommes encore et toujours au même point une fois gratté le verni de la culture. Le cœur des étoiles, plus chaud, plus intense en activité, synthétise les éléments plus lourds utiles à la construction de molécules plus complexes. De même, les « étoiles noires » que sont les conflits planétaires font naître en leur temps sinon à leur suite des individus singuliers, des idées à la fois nouvelles, des concepts et des visions du monde parfois révolutionnaires dans les secteurs et les dimensions multiples de la vie humaine.

Près de quatre vingts ans après le dernier conflit mondial, le monde a visiblement besoin d’une nouvelle secousse. Les années de progrès continus, de croissance économique pour une part de l’humanité, d’injustice profonde pour l’autre, de confort à la fois sanitaire, technologique et idéologique pour la première et de pillages, de ravages et d’esclavages pour la seconde ont fini de nous endormir quasi définitivement sur nos lauriers tâchés de sang. Bien sûr, d’autres conflits ont eu lieu depuis. D’autres catastrophes naturelles aussi, écologiques ou idéologiques, accompagnées de l’oppression des peuples les plus faibles partout de par le monde. Mais tous ces évènements qui continuent de se succéder depuis près de quatre vingts ans ne sont rien à l’échelle du vivant. Ils ne sont que le ronronnement d’une évolution passagèrement assoupie comme un vieux volcan qui laisse de temps à autre échapper quelque jet de vapeur et coulée de lave sans grande conséquence. Ils s’apparentent à ce que les paléontologues nomment le « bruit de fond des extinctions » et qui n’est que le déroulement normal et routinier d’une évolution qui n’a de cesse d’éliminer certaines espèces pour les remplacer par d’autres. Pour autant, ce « bruit de fond des extinctions » laisse apparaître en surimpression des crises plus ponctuelles et d’ampleur autrement plus importantes. Ce sont en paléontologie les extinctions de masse. Cinq sont actuellement connues des spécialistes dont la dernière remonte à la quasi extinction des dinosaures il y a soixante cinq millions d’années. Après ces pics d’activité intense, des changements majeurs se sont opérés au sein de la biodiversité et de la géologie. Nos pics d’activité que sont les grands conflits mondiaux n’agissent pas différemment sur le fond car les forces qui les initient, en dépit des apparences, sont des forces de vie.

Or, une nouvelle secousse s’impose pour une espèce en manque de l’énergie nécessaire à l’accomplissement des changements qui conditionnent sa survie. Survie non pas en tant qu’espèce déjà définie et arrêtée dans ses formes aussi bien physiques que psychiques. Mais une humanité qui n’est que moment, transition, passage d’une forme de vie à une autre. L’homme est une chose qui doit être dépassée nous dit Nietzsche. Il est un pont et non un terme. Car c’est bien de la perpétuation du mouvement même de la vie dont il s’agit toujours. Une vie alliée à une nature qui n’a que faire des moyens employés « par delà le bien et le mal » et au-delà de toute morale. La fin seule lui importe même si aucun finalisme a priori ne l’anime. Si ce n’est se succéder à elle-même à travers l’infinie diversité des formes, des êtres et des consciences.

Sur le plan humain, ce sont nos comportements individuels, nos besoins, nos désirs, nos peurs, nos espoirs lorsque ceux-ci sont les expressions de nos instincts les plus primitifs, qui mettent en jeu les forces qui font l’évolution de l’espèce. Ainsi le réchauffement climatique, résultat de nos comportements individuels, la crise sanitaire du Covid-19 et enfin le dernier conflit européen opposant la Russie à l’Ukraine sont autant de conséquences directes ou indirectes de nos comportements individuels.

Il semblerait donc que toute forme d’évolution, au sens darwinien du terme, est la propriété émergente de la combinaison ou de l’association de plusieurs instincts individuels accrus par la démographie : densité démographique + tension psychologique = accélération de l’évolution de l’espèce. Les directions et les formes que cette dernière emprunte sont donc contingentes étant donné les infinies variations susceptibles de s’exprimer à travers les innombrables hasards qui la nourrissent. Mais elle est aussi déterminée dans le sens où elle a lieu de toutes les manières possibles. Ce, grâce au nombre infini d’interactions entre les individus, qu’ils soient humains, animaux, cellules, atomes ou particules élémentaires. Évolution : propriété émergente de la vie soumise à la multitude.

Pour mieux comprendre, reprenons la chronologie des derniers évènements les plus marquants à l’échelle planétaire.

 
 

ACTE I

Depuis plusieurs décennies à présent, la menace que le réchauffement climatique fait peser sur l’ensemble des écosystèmes est de plus en plus grande. Menace directement liée aux développements des pays les plus riches. Aujourd’hui le déni n’est plus possible. La fréquence et l’intensification des catastrophes naturelles de par le monde, jointes aux données qu’une science digne de ce nom, c’est-à-dire impartiale, collecte et ordonne depuis des décennies, placent tous les esprits éveillés devant le fait accompli : de grands bouleversements sont en marche. Force est de constater que nous subissons à l’échelle planétaire les premières conséquences climatiques de ce dérèglement.. Conséquences déjà importantes et qui ne sont encore que les premiers degrés, si j’ose dire, sur une échelle d’intensité dont nous ignorons vers quels paroxysmes elle peut s’élever. Ce dérèglement climatique, nous le savons désormais, est directement dû à nos « progrès » technologiques, industriels, énergétiques, économiques, démographiques et sociaux. Du moins pour cette portion de l’humanité qui concerne les pays les plus riches et donc ou car les plus destructeurs à l’endroit de la biosphère.


ACTE II

Novembre 2019, la maladie infectieuse à coronavirus Covid-19 se déclare à Wuhan en Chine. Elle ne cessera de se diffuser à l’ensemble de la planète durant les deux années qui suivirent et ce, essentiellement grâce à l’excellence et à la rapidité de nos moyens de transport et aux vastes réseaux de communication désormais répandus sur toute le surface de la Terre. Cette pandémie (épizootie d’origine humaine essentiellement induite par la réduction des biotopes) fera officiellement près de 5,5 millions de morts. Or, cette crise sanitaire majeure a, bien que momentanément, initié de nouveaux comportements, de nouvelles aspirations aussi bien sur le plan collectif qu’individuel ; personnel que professionnel. Les confinements à répétition ont aussi démontré la capacité de résilience d’une nature rendue à elle-même et sa capacité à se régénérer rapidement quand l’homme décide de ne plus « faire » mais de « laisser faire ». Les remises en question, le retour vers une forme d’authenticité dans nos vies, la soudaine mise en perspective de nos existences individuelles au sein de ce maelström collectif ont suscité des prises de conscience et des changements de comportements pour des vies plus harmonieuses et en harmonie avec la vie. Mais cela n’a pas suffit. La plupart d’entre nous, après avoir subit les confinements, est retournée à son enfermement productiviste et consumériste. C’était à n’en pas douter un premier signe, un sursaut, une initiation.


ACTE III

Le 24 février 2022 les forces armées russes sous le haut commandement de Vladimir Poutine envahissent l’est de l’Ukraine contrôlé par les « séparatistes russes ». Voilà que le rouleau compresseur de l’évolution se met à nouveau en branle sous l’impulsion d’un seul homme. Lequel n’est en fait que la concentration de forces qui le dépassent et dont il n’est que le vulgaire et bien dérisoire instrument. En 408 déjà, à la tête des peuples barbares d’Europe, Alaric parvient aux portes de Rome. Un ermite italien vient au devant de lui et lui fait part de « […] l’indignation du ciel contre les oppresseurs de la terre. » « Alaric, nous dit Gibbon, embarrassa beaucoup le vieil homme en lui déclarant qu’il était entraîné presque malgré lui aux portes de Rome, par une impulsion inconnue et surnaturelle. »

L’individualité, la personnalité ne sont pas données ou forgées d’un seul bloc dès la naissance. L’individu est non seulement le fruit de toute l’infinie variété des générations qui l’ont précédés; mais il est également le résultat, toujours provisoire cependant, de tout ce que son environnement à la fois affectif, social et culturel dépose en lui tout au long de son existence. Au même titre que l’espèce, nous ne sommes jamais totalement, en une fois dans l’espace et le temps. Nous sommes en devenir. Décomposer un mouvement physique en autant de moments successifs nous expose à autant de paradoxes et d’interprétations parfois aberrantes. Décomposer de la même manière le mouvement de la vie nous expose à passer le plus souvent à côté de la vérité.

Aussi, lorsque nous agissons, bien que pensant le faire librement et à titre personnel, nous ne le faisons qu’eu égard à l’empreinte collective qui s’est déposée en nous de mille et une manières et aux origines multiples. Dès lors, si l’individuel contribue de par ses comportements les plus instinctifs, les moins réfléchis, à dessiner et à orienter les comportements collectifs, ces derniers impriment également leur marque indélébile sur tous les individus. Chacun est tout à la fois forgé par son histoire et par l’Histoire. Ainsi se déroule le cycle de la vie au-delà de toute morale.

Pour en revenir plus précisément à ce qui nous occupe, tous ces évènements qui, indépendamment considérés n’ont a priori rien à voir les uns avec les autres sur la forme, sont, malgré toute apparence et sur le fond, les conséquences des agissements d’une espèce toujours sous le joug des lois de l’évolution. Toute espèce agit sur son biotope, lequel à son tour influence de manière mécanique sur l’évolution de l’espèce. Les deux sont liés. Ils s’interpénètrent et s’influence mutuellement. C’est une forme de symbiose en devenir. Lorsque l’espèce devient invasive, ce qui est la tendance naturelle de toute forme de vie, il n’y a pas lieu de s’étonner outre mesure de ce que les conséquences de ses modes de vie aient un impact au niveau planétaire. Rotondité de la Terre, limitation de l’espace vital et absence de prédateurs obligent. Arrive donc un moment tout aussi mécanique et logique où les conséquences impactent jusqu’à la dite espèce en en modifiant durablement l’environnement, les ressources, les comportements, les interactions avec d’autres espèces (pandémies, extinctions), la démographie tout comme les natures individuelles.


Des hommes d’exception ?

Or, certaines personnalités singulières, tout au long de l’histoire, ont été des accélérateurs, des catalyseurs des processus de transformation des sociétés humaines. Monarques, tyrans, dictateurs sanguinaires, conquérants, révolutionnaires, artistes ou scientifiques de génie, politiques, inventeurs et découvreurs de tous horizons, industriels… tous ont été et sont, à l’instar du commun des mortels, de purs produits de leurs époques respectives. À cette différence près qu’ils ont été, de par leur nature propre et le concours des circonstances, les concentrations de forces qui ne demandaient qu’à être libérées, redistribuées, assimilées et transformées. Car, contre toute apparence, ce ne sont pas ces individus qui ont déterminé ces époques. Bien au contraire, et comme le suggère Alaric, ce sont ces époques elles-mêmes qui ont forgé et déterminé ces individus déposant en eux les germes de contagions idéologiques à venir. Passé un certain temps d’incubation et pour peu que l’environnement soit biologiquement propice et réceptif ; ils influeront à leur tour puissamment sur les masses qui auront contribué à leur naissance et à leur développement et sur l’époque nouvelle qu’ils marqueront de leur empreinte : sanglante ou bienfaitrice.

Rien n’est le fruit du hasard et tout n’est que succession d’actions et de réactions dans un monde où nécessité fait loi. Si le hasard toutefois peut sembler opérer à des niveaux inférieurs tout comme chaque goutte d’eau semble avoir sa propre vie au sein du fleuve duquel elle participe, ce dernier est bien obligé de suivre les pentes et les courbes qui lui sont imposées de par son flot et la nature du sol. Alexandre le grand, César, Attila, Gengis Khan, Alaric, Cortès, Napoléon, Staline, Hitler comme Poutine aujourd’hui furent tour à tour de purs produits de leurs temps. Et leurs heures les plus sombres s’inscrivent malgré cela toujours dans l’ordre de l’évolution de l’espèce et des myriades de subterfuges et de métamorphoses empruntées par la vie. Ils furent tour à tour les moments paroxystiques d’époques où les ressorts de l’évolution de l’espèce étaient à ce point comprimés que de simples et parfois insignifiantes personnalités se sont vu utilisées et transfigurées par des forces dont elles n’étaient que le simple point d’appui. L’occasion nécessaire mais cependant arbitraire de leur libération sur le plan collectif.

La vie est une force qui se nourrie de sa propre mort. C’est le principe de toute métamorphose. Tout espace limité, tel que la Terre où la vie s’est développée et où ses forces naturellement expansionnistes sont intrinsèquement illimitées, force à la métamorphose perpétuelle ; à l’action sur soi-même. Elle est la seule dynamique à même de prolonger l’élan vital au-delà du moment présent. Il n’y a pas d’alternative. Espace clos + vie = métamorphose. Laquelle implique nécessairement une large part de renoncement aux formes du passé et impose de fait une certaine proportion de mort. En d’autres termes, un changement d’état ou de nature. C’est le cas à tous les niveaux et sur tous les plans du réel. Aussi bien à titre individuel qu’à titre collectif. La personne humaine elle-même ne se construit et ne se conforme que sur la base d’une perpétuelle et discrète métamorphose qui la renouvelle, la sculpte et la transforme tout au long de sa vie physiologique et psychologique à travers des moments d’intenses bonheurs comme d’intenses ou de sourdes souffrances.

On le constate donc dès à présent : la conjonction de ces trois évènements majeurs que sont le réchauffement climatique, la pandémie et le conflit russo-ukrainien nous pousse, que nous le voulions ou non, à modifier de manière globale et radicale nos comportements. Désormais nous n’avons plus le choix. La nature et à travers elle l’évolution elle-même nous imposent aujourd’hui par la force des changements que nous aurions dû entreprendre il y a plus d’un demi siècle avec la première crise pétrolière de 1973 et les premiers signaux d’alarmes lancés par les spécialistes du climat et de l’environnement à travers le rapport Meadows en 1972. Ces récentes crises à la fois climatiques, sanitaires, biologiques, géopolitiques et énergétiques nous forcent à engager enfin le processus de notre métamorphose prochaine. Le courant des évènements est désormais trop puissant pour que nous osions encore regimber ou nous opposer.

Notre espèce vit depuis trop longtemps au-dessus de ses moyens et surtout de ceux que lui prodigue sans compter la planète depuis les débuts de l’ère industrielle. N’importe quel foyer modeste le sait. Quand on vit à crédit et qu’un imprévu survient, c’est la catastrophe ! Le monde s’écroule parce que nous n’avons plus les moyens de faire face à n’importe quelle dépense supplémentaire. Or aujourd’hui nous en sommes là.

La crise sanitaire a déjà largement fragilisé les économies mondiales. La crise climatique commence à son tour et de manière durable son long travail de sape des écosystèmes. Enfin, la guerre en Ukraine entraîne à sa suite, parmi d’autres effets multiples, une crise énergétique sans précédent en Europe. Nous n’avons plus d’autre choix que celui de l’économie, de la tempérance, de la frugalité. Il nous faut mettre en œuvre toutes les énergies et toutes les ressources dont notre espèce dispose encore. L’innovation raisonnée, l’adaptation, la volonté de changement, l’audace, la résilience alliées à une certaine part de renoncement sont parmi nos dernières chances. C’est à n’en pas douter un avenir nouveau qui se propose à nous. Il se présente certes sous des traits peu engageants. Mais ce sont les premiers mouvements – les plus difficiles sans doute – d’une force qui fait fi des destinées individuelles et des formes de vies présentes. La seule toutefois à nous garantir un futur collectif de dimension autrement supérieure.

Le martyre que subit aujourd’hui l’Ukraine ne sera bientôt plus qu’un mauvais souvenir. À n’en pas douter, ce pays se relèvera mille fois plus grand qu’il ne l’est aujourd’hui. Il est l’exemple à suivre par toute l’Europe sur l’attitude à adopter face aux épreuves qui peuvent frapper une nation comme l’Ukraine aujourd’hui. La force dont font preuve ses habitants, la croyance, l’amour qu’ils portent à leur nation et leur indéfectible confiance en l’avenir au-delà des souffrances feront demain de ce pays un des plus forts, un des plus grands, un des plus modernes et sans doute un des plus humains de toute l’Europe. Parce que cette destruction qu’elle subit aujourd’hui fera de l’Ukraine une nation nouvelle résolument tournée vers l’avenir. Celui d’un pays entrant de plain-pied dans le deuxième millénaire et entraînant à sa suite l’humanité vers son destin.

 
 



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