EFFONDREMENT & EVOLUTION  
         
          Sébastien JUNCA   
Dimanche 5 janvier 2020

Commentaire en réponse à l'article intitulé Gilets jaunes et écologistes : la non-violence à tout prix ? sur le site  
Journal d'écologie critique .
 

La révolution intérieure

Bien sûr que toutes ces colères sont légitimes. Bien sûr qu'il faut agir afin de lutter contre toutes les inégalités, les injustices, les massacres, les destructions, l’épuisement des ressources, l’extinction des espèces... je ne vais pas refaire la liste, elle serait trop longue et vous en avez déjà fort bien parlé. Pour autant, si ces colères sont légitimes, leur expression par la violence est la dernière des choses à faire. Elle ne peut qu'envenimer et détruire encore davantage une société déjà bien malade. D'autant que la plupart de ces anarchistes, black-blocs, extrémistes de droite ou de gauche ou même simples gilets jaunes en colère sont autant de complices d'un système qu'ils dénoncent tous autant qu'ils sont. Quand on entend sur une chaîne d'information des gilets jaunes qui osent demander "qui paiera nos dettes ?" pour se plaindre du peu de moyens dont ils disposent pour vivre. Ces derniers, comme beaucoup de ces pseudo-révolutionnaires, feraient mieux de se poser la question de savoir comment ne pas faire de dettes.

La plupart de ces énergumènes comptent désormais beaucoup trop sur la société en général, et sur l'État en particulier pour subvenir à leurs besoins. Ils semblent tous oublier qu'une société est un organisme vivant à part entière et que chaque cellule "humaine" participe de sa propre survie. Or, c’est d’un véritable cancer social dont nous souffrons aujourd’hui. Un cancer généralisé où la plupart des cellules (nous tous) n’aspirent plus qu’à leurs propres projets et désirs individuels au détriment du projet collectif. Qu’importe après tout si les gouvernants ne suivent pas. Tournons leurs le dos et tâchons d’œuvrer à notre échelle pour le bien collectif sans eux. Depuis les « Trente Glorieuses », le niveau de vie de chacun a considérablement augmenté, même celui des plus démunis qui bénéficient d’aides qui il y a trente ans n’existaient pas encore ou en trop faibles proportions. Il faut bien l’avouer, la plupart d’entre nous vit aujourd’hui bien au-dessus de ses moyens. Quand on voit que le moindre smicar gilet jaune possède un smartphone et que cela passe pour l’acquisition la plus normale et naturelle du monde sans laquelle plus personne ne semble pouvoir vivre aujourd’hui… cela pose question. Et quid des SUV, des téléviseurs HD 4K, des abonnements aux bouquets numériques, à la salle de sport, au portable pour tous les membres de la famille… et j’en passe ?

La plupart de ceux qui revendiquent et cassent veulent ni plus ni moins, comme les plus riches, leur part du gâteau. La preuve en est que la destruction des boutiques de luxe s’accompagne le plus souvent de leur pillage, ce qui en dit long sur l’état d’esprit de ces pseudo anarchistes. Non, la seule véritable révolution digne d’être opérée est une révolution intérieure. Un changement de comportement individuel, car c’est bien dans la tête des gens que rien ne va plus. On veut tout, tout de suite en oubliant ce que nous devons d’emblée à la collectivité. On en oublie au fil des ans et des progrès accomplis la valeur de l’effort, du travail, de l’attente, de la patience qui donnent tout leur prix aux choses et aux services. Nous vivons à n’en pas douter des vies d’enfants gâtés au sein de nos sociétés occidentales. Nous avons fini par oublier la valeur des choses parce qu’on nous a trop longtemps fait croire qu’elles nous étaient dues et que nous y avions droit. Bien sur qu’on nous a dupé. Bien sûr qu’on nous a fait croire à l’incroyable et que nous y avons cru avec plaisir, délectation et inconscience accompagnées d’une mauvaise foi et d’une volonté de ne pas voir à nulles autres pareilles.

Aujourd’hui, chacun veut tous les jours davantage. Davantage d’argent, davantage de temps libre, davantage de soins remboursés davantage, davantage de plaisir, davantage d’éducation, davantage de services, de transport et de moins en moins de taxes, d’impôts. Qu’est-ce que les gens croient, que l’argent tombe du ciel ? Chacun transpose à l’échelle nationale ce qu’il vit au quotidien : la politique de l’endettement et du après nous le déluge ! La plupart des ménages sont aujourd’hui endettés pour ne pas dire surendettés. Mais c’est normal puisque c’est pour la bonne cause. Qui accepterait aujourd’hui de vivre sans le moindre objet connecté, sans télévision ou SUV familial ? Qui accepterait aujourd’hui de se priver de vacances à la mer l’été, à la montagne l’hiver, d’aller au restaurant au moins une fois la semaine après un bon ciné et une soirée bien arrosée entre copains ? Soyons honnêtes, la plupart des revendications des Gilets Jaunes avaient essentiellement trait au loisir. La plupart des gens se plaignaient de n’avoir pas assez en fin de mois pour se payer du loisir : vacances, restos, ciné… Qu’ils s’estiment déjà heureux de pouvoir vivre dans une société comme la nôtre, certes imparfaite, mais parmi les mieux dotée d’Europe et du monde en matière de services, de protection sociale et d’éducation pour tous. Comme au niveau des foyers, tous ces biens ont un coût pour la collectivité. Et ce serait illusion de croire que de mettre quatre ou cinq milliardaires à la rue suffirait à redresser la balance commerciale d’un pays qui vit au dessus de ses moyens.

 

Non, la violence n’est pas la solution. Bien au contraire, elle est la pire des réponses car nous risquerions de tout y perdre. Ce n’est pas quand le bateau coule qu’il faut se lancer dans une mutinerie. Ce serait jeter le bébé avec l’eau du bain. Notre société est malade certes, mais ce n’est pas à coup d’amputations successives que nous la guérirons. Ce que nous vivons est plus une crise de croissance qu’une crise de la croissance. Nous sommes sur le point de vivre une métamorphose incontournable pour notre survie collective et individuelle. Comme toute métamorphose, elle laissera sur le côté les peaux mortes et desséchées de nos anciennes vies. Comme toute métamorphose, elle ne se fera pas sans douleur. Libre à chacun de se tourner vers le passé ou vers l’avenir. De choisir de s’agripper ou de s’en prendre au corps déjà moribond d’un monde à l’agonie. Quand aux autres, ceux qui croient encore à l’avenir, aux forces de la nature, qu’ils détournent leur regard de ce monde à l’agonie dont beaucoup de Gilets Jaunes font aussi partie et tournons-nous vers le futur. Comme le dit Pierre Rabhi, accomplissons chacun notre part de colibri et laissons les anciens systèmes s’éteindre naturellement, par désaffection grandissante. Laissons ceux qui y croient encore, à leur monde en perdition et bâtissons le nôtre.


 

 
 



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