Dimanche 1er novembre 2020
LA CONTAGION SACREE
« Un virus est un agent infectieux nécessitant un hôte, souvent une cellule, dont il utilise le métabolisme et les constituants pour se répliquer. Le nom virus a été emprunté au XVIe siècle par Ambroise Paré au latin v?rus, ?, n. (“ venin, poison, proprement suc des plantes ”). »
Définition Wikipedia
En 1768, le Baron d’Holbach commence son livre La contagion sacrée ou histoire naturelle de la superstition par cette phrase : « L’homme n’est superstitieux que parce qu’il est craintif ; il ne craint que parce qu’il est ignorant. » Tout est dit et pourtant ! Deux siècles et demi après les Lumières, l’obscurantisme menace toujours.
Les derniers attentats de Conflans-Sainte-Honorine et de Nice soulignent une fois encore l’impuissance des États face à la menace terroriste sur fond d’extrémisme religieux ou idéologique quel qu’il soit. Nous avons beau dire, nous avons beau faire, rien n’empêchera demain, à nouveau, que n’importe quel quidam soudain touché par la foudre ne se sente investi d’un devoir vis-à-vis d’Allah ; celui de tuer des « mécréants » quels qu’ils soient, où qu’ils soient, tout innocents qu’ils puissent être.
Pourtant, la période que nous vivons en parallèle sur le plan sanitaire me semble riche d’enseignements à tous égards et plus particulièrement en ce qui concerne la menace terroriste telle que nous la subissons avec de nombreuses autres nations essentiellement depuis les attentats de Charlie Hebdo. Comme souvent, il nous faut prendre un certain recul sinon une certaine hauteur de vue au regard des évènements par définition humains que nous vivons. Il faut à mon sens, et pour mieux les comprendre, les réinscrire dans une dynamique qui les précède et qui les prolonge. Rien n’est jamais isolé ou spontané dans la nature.
Or, l’humanité et ses comportements – n’en déplaise aux tenants d’un scientisme et d’un surhumanisme encore sous l’influence d’un cartésianisme suranné – l’humanité disais-je, fait encore partie de la nature. Que nous le voulions ou non, nos instincts, nos désirs, nos passions, nos peurs, nos réalisations même les plus apparemment éloignées de la nature en sont pourtant les immédiats prolongements. Nos artefacts culturels et technologiques n’y changent rien et la première catastrophe naturelle venue sous la forme d’une épidémie ou d’un séisme a tôt fait de le rappeler à notre mémoire un peu trop sélective lorsqu’il s’agit de nous considérer tels que nous sommes, nous les hommes.
C’est pourquoi je crois, de manière générale, à la transposition des organisations et des dynamiques qui sont partout présentes, à des échelles différentes, à travers le cosmos. Je crois qu’il est une notion générale d’ordre et de complexité que l’on peut retrouver à tous les niveaux d’organisation de la matière depuis ses formes les plus « grossières » ou « primitives » jusqu’à ses terminaisons sociales ou technologiques, concernant notre seule espèce, les plus abouties à ce jour. Tant que la matière est présente, ses modes d’action et d’évolution le sont aussi. Bien sûr, il faut faire la part des choses en tenant compte des spécificités de chaque système. Lesquelles changent en fonction des différents niveaux d’organisation de la matière.
Une société humaine, eu égard à ses individualités affectives et cognitives, n’évolue pas spécifiquement de la même manière qu’une société de primates ou de fourmis. Leurs besoins collectifs sont différents parce que leur environnement est différent et que leurs spécificités individuelles et organiques le sont aussi. Idem pour une « société » de micro-organismes ou de cellules au sein du corps humain lui-même. Pour autant, il est des fondamentaux que l’on retrouve à tous les niveaux et au sein de n’importe quel système. Parmi eux, ce sont tout d’abord les notions de société, d’organisation, de système, d’ordre, de communication, d’information, lesquels, et quels que soient les noms qu’on leur donne au sein des différentes disciplines qui les étudient, sont partout identiques sur le fond.
Aussi, nos comportements humains, individuels comme collectifs ne sont-ils pas si différents des comportements des cellules et autres organisations sous-jacentes qui sont les briques de nos individualités. Au-delà des formes naturellement différentes liées à chaque niveau de complexité et d’organisation, le fond, quant à lui, reste invariablement le même. Il traduit une dynamique commune à chaque système et qui tend, depuis 13.7 milliards d’années, à structurer, à informer, à organiser la matière brute vers des états toujours plus unifiés et toujours plus en lien les uns avec les autres.
Voilà pourquoi le corps social est un organisme comme les autres, ni plus ni moins assujetti aux mêmes contraintes, aux mêmes désirs, aux mêmes dangers aussi. Les idéologies, à l’instar des virus, sont contagieuses. Contagieuses et meurtrières aussi, sinon génocidaires. L’histoire l’a malheureusement démontré à maintes reprises. Et leur degré de contagiosité est largement dépendant de la densité de population (cellulaire ou humaine) comme de la bonne santé du corps biologique ou social au sein duquel elles sont susceptibles d’évoluer et de se répandre.
Il est des comorbidités sociales comme il est des comorbidités biologiques. Le chômage endémique, les disparités sociales accrues, une immigration mal contrôlée, les communautarismes, les séparatismes, des scandales politiques à répétition, les violences policières, une justice à géométrie variable, un protectionnisme exacerbé, une mauvaise protection sociale et une déculturation croissante… sont autant de menaces qui pèsent sur notre immunité collective. Lesquelles sont à même de laisser se propager les virus idéologiques et/ou religieux et les extrémismes de toute nature. Ajoutée à tous ces maux la menace globale liée au réchauffement climatique et qui est à son échelle, la traduction directe de nos égarements ultralibéraux occidentaux depuis plus d’un siècle.
Autant de faiblesses à l’échelle d’une nation lesquelles, par un désengagement individuel et collectif, menacent jusqu’à l’union nationale. Une menace qui de loin en loin, se traduit par une perte de sens et de repères sur le plan individuel au même titre que certaines cellules perdent leur capacité à lutter contre certaines attaques virales parce que insuffisamment armées.
Les correspondances sont nombreuses entre corps organique et corps social. Ils sont tous les deux les produits de la mise en relation d’éléments séparés dans un certain milieu (cellules/hommes) mais unis par un vaste et complexe réseau de communication, de stockage et de diffusion de l’information ; de spécialisation de certaines tâches en vue d’une optimisation de celles-ci nécessaires à la cohésion et donc à la survie du système. Or, c’est cette cohésion, autrement dit cette bonne santé sociale qui, par cette perte de repères, de sens, donc de vitalité, offre ponctuellement un terrain propice à toute forme de contagion idéologique dont les extrémismes de toute nature sont les plus grands pourvoyeurs.
Force est donc de constater aujourd’hui que le corps social des sociétés occidentales souffre de ces comorbidités de la même manière que la majorité des victimes du Covid-19 sont des individus déjà affaiblis par certaines pathologies chroniques. Aussi, et pour nous protéger d’une contagion idéologique qui n’a pas encore atteint, c’est heureux, son pic épidémique, nous faut-il appliquer les même précautions d’usage que celles recommandées par tous les infectiologues censés face à l’épidémie du Covid-19.