Notre discipline et notre aptitude à la solidarité sont nos anticorps sociaux. Ils participent de la cohésion sociale et de notre capacité à nous protéger collectivement contre tous les types d’agressions.
C’est très français !
Or, la crise actuelle du COVID-19 a déjà mis en évidence certaines faiblesses de notre « système immunitaire collectif ». La première fût cette ruée vers les supermarchés et autres magasins d’alimentations qui ont vu, pour certains, leurs rayons se vider comme en tant de guerre. Pourtant, le gouvernement n’a eu de cesse de rassurer la population en garantissant qu’il n’y aurait aucune pénurie, que nous disposions des réserves suffisantes en amont et que la chaîne logistique n’avait aucune raison de s’interrompre. Ensuite, et alors que l’état venait d’instaurer des mesures de confinement, la réponse de beaucoup s’est traduite par un exode massif vers les provinces. Ce, au mépris de notre sécurité collective, lors que ces mêmes régions avaient été jusque-là relativement épargnées par la pandémie.
La troisième faille majeure dans notre système immunitaire a lieu en ce moment même. Elle s’exprime par la focalisation, pour ne pas dire l’obsession grandissante de chacun à vouloir se procurer masques, gants et gel hydro-alcoolique pour les gestes de la vie quotidienne. Pourtant, chaque intervenant, médecin, journaliste ou responsable politique n’ont eu de cesse depuis les premiers temps de la crise, d’expliquer que le port du masque n’était nécessaire que si l’on était malade ou si on pensait l’être. La distanciation sociale accompagnée des « gestes barrière » suffisait, dans la mesure de leur strict respect, à se protéger, à protéger les autres et à freiner la pandémie.
L’autre virus
La peur, la bêtise et l’individualisme sont plus contagieux que le virus lui-même. Avec un facteur aggravant qui n’est autre que le réseau médiatique et numérique qui amplifie la diffusion des comportements à risque. Le « corps social » est un organisme comme les autres. Son histoire, sa construction et sa pérennité reposent sur les mêmes principes que n’importe quelle autre structure vivante. Aussi fait-il la démonstration des mêmes aptitudes, des mêmes forces et des mêmes faiblesses. Une semblable vulnérabilité qui l’amène à encourir les mêmes risques d’affaiblissement et de désintégration. Comme au sein de n’importe quel organisme, le lien qui unit les « cellules » humaines est garant de notre survie collective et individuelle. Mais il y a toujours des cellules mutantes, au comportement erratique et qui fonctionnent à contre-courant. Sortes d’électrons libres qui risquent de contaminer l’ensemble de l’organisme social.
C’est ce qui s’est passé une première fois avec cette ruée en masse vers les magasins d’alimentation. C’est ce qui s’est reproduit avec cet autre comportement à risque qui a consisté, en plein confinement, à fuir les mégapoles pour aller se confiner en province comme s’il s’était agit d’un simple départ en week-end. Là encore, et comme souvent, chacun ne voyait que son bien être et son confort personnels en faisant passer au second plan le bien et la sécurité collectifs.
La peur n’évite pas le danger
Le principe de précaution et le droit de retrait sont autant de menaces pour la cohésion sociale. Mercredi 18, mon patron est venu nous annoncer que nous étions à partir du lendemain en chômage partiel. Non pas faute de travail ni faute de matières premières. Pas davantage du fait que l’un d’entre nous aurait pu être contaminé ou suspecté de l’être. Non ! rien de tout cela. La raison invoquée était simplement que la direction n’était plus en mesure de garantir notre sécurité et que si l’un d’entre nous contractait le virus, l’entreprise était moralement responsable. Chacun pourtant sait désormais que les « gestes barrière », le respect de la distance de sécurité, le lavage régulier des mains au savon, sont des précautions amplement suffisantes pour écarter tout risque de diffusion du virus. Pour autant, là encore, c’est la peur qui dicte les comportements.
Le bruit courait également dans l’entreprise qu’elle disposait d’un stock de 500 masques de type FFP2 pour les besoins de notre activité. Masques que d’ailleurs personne n’utilise au quotidien, d’où la persistance d’un tel stock. Lequel, en cette période, aurait et pourrait encore être utile à l’ensemble du personnel soignant des communes environnantes. Étonnamment, au moment de quitter l’entreprise pour au moins quinze jours de confinements, chacun s’est vu proposer une boîte de masques – au passage périmés – de la part de notre bon patron. Une initiative qui va à contre-courant de tout bon sens et de tout comportement responsable et citoyen.
Ces histoires de masques, de gants et de gel hydro-alcoolique risquent de mettre en péril la cohésion sociale dans son ensemble. Tous les citoyens qui portent aujourd’hui un masque lors qu’ils ne sont ni malades, ni en contact rapproché avec des personnes contaminées ne font qu’encourager les autres citoyens à porter eux-mêmes un masque, croyant que ce dernier est l’équipement indispensable à une bonne protection individuelle. C’est ainsi que l’on peut voir de plus en plus de professionnels de toutes les branches refuser de travailler sous prétexte qu’ils se sentent en danger sans masque, sans gants et sans gel. Une fois encore, chacun reporte la responsabilité de sa propre sécurité sur les autres – ici l’État – en montrant du doigt le manque de matériel. Manque qui peut être avantageusement compensé par une bonne distanciation sociale, un lavage de mains au savon régulier et les autres « gestes barrières » qui ont fait, ailleurs, la preuve de leur efficacité.
La grande menace
Par la simple diffusion de la peur, toutes les activités essentielles à la vie et à la sécurité de la Nation vont, si chacun n’y met pas un peu du sien, s’en trouver paralysées. Les chaînes logistiques, la production alimentaire, l’énergie vont progressivement être affectées par le virus de la peur et cette crainte irraisonnée de la contamination à travers chacun des gestes de la vie quotidienne. À l’autre extrémité de la chaîne, les comportements individuels irresponsables qui consistent à stocker de manière disproportionnée les aliments et autres produits de première nécessité vont finir par tendre les circuits de ravitaillement jusqu’à la rupture.
On imagine sans peine les mouvements de panique engendrés par de telles pénuries. Pour le coup, la situation ne serait plus sous contrôle et il ne serait sans doute plus possible de revenir en arrière. Le chaos succèderait à l’anarchie, et le cancer social de l’individualisme exacerbé finirait de ronger la nation en quelques jours.
La généralisation à tous les secteurs des aides de l’État en matière de chômage partiel risque également d’être, à terme, contre-productive en ce qui concerne la sauvegarde du tissu économique national. Entre la crainte irrationnelle de contracter le virus en toutes occasions et la possibilité offerte de rester chez soi à 84% de son salaire net ; chacun ne va pas y réfléchir à deux fois. Cette claustration généralisée à tous les secteurs économiques, la ruée dans les rayons d’approvisionnement et la possibilité pour tout un chacun de faire valoir son droit de retrait risquent de précipiter le pays vers l’effondrement socio-économique tant redouté.
Comme de juste, les syndicats se ruent dans la brèche et dénoncent à leur tour l’absence de mesures de sécurité suffisantes sur des sites industriels tels que les plateformes de distribution de l’enseigne Amazon pour ne citer qu’elle. Il me semble que, sous prétexte d’être les porte-parole du personnel, les représentants syndicaux ne font que propager des contrevérités et des pseudo informations susceptibles de se répandre à travers toute la population active plus rapidement que le virus lui-même.
Je le disais en commençant, les sociétés humaines sont des organismes comme les autres. Elles sont de fait sujettes aux mêmes menaces. Mais celles-ci ne sont telles qu’eu égard à notre aptitude à la cohésion. À notre capacité de production d’ « anticorps » que sont la solidarité, l’empathie, la discipline, le bon sens, une bonne communication et notre volonté individuelle de contrôler nos émotions à défaut de les surmonter.
Je suis l’humanité !
Depuis presque vingt ans à présent, avec les attentats du 11 septembre 2001, l’humanité a progressivement pris conscience de son unité de corps et d’esprit. Avec Homo sapiens, il y a environ 300 000 ans, la pensée chez le genre Homo est devenue réflexive. L’homme est devenu capable d’introspection. Désormais conscient de soi et du monde, il s’est progressivement individualisé au fur et à mesure de la complexification des sociétés. Avec la propagation et la rapidité des moyens de transport et de communications actuels, chaque être humain est progressivement en train de « faire corps » avec le monde et l’ensemble de l’humanité.
Dans le même temps, une conscience écologique est en train de naître et de se répandre parmi une population humaine de plus en plus attentive aux équilibres naturels. De plus en plus souvent, et grâce au réseau « neuronal » des moyens de communications actuels, chaque évènement, chaque crise est vécue quasi instantanément par une population humaine chaque fois augmentée. Or, cette instantanéité de l’émotion, son partage au niveau mondial permet à chacun de développer cette toute nouvelle fibre qui tend à nous unir toujours davantage et plus intensément. Nous nous universalisons.
Cette dernière crise mondiale et d’ampleur inégalée aura des effets considérables sur le développement de nos sociétés et de notre espèce. Les changements qui vont s’opérer seront à la mesure des émotions partagées par des millions d’êtres humains au même moment sur les réseaux sociaux. Du fait même du contexte et de la puissance des moyens de communication, les conséquences de cette pandémie feront plus pour l’humanité que la grippe espagnole en 1918 avec ses 20 à 50 millions de victimes.
Dans les jours qui ont suivis les attentats du 11 septembre 2001, certains politiciens, par solidarité, avaient lancé cette phrase qui a fait polémique : « Nous sommes tous Américains ! ». Plus récemment, les attentats de Charlie hebdo ont vu naître un mouvement de solidarité uni sous le slogan « Je suis Charlie ». La formule a depuis été reprise en maintes occasions, souvent plus tragiques les unes que les autres. Toujours pour souligner son appartenance, son empathie, sa solidarité avec les victimes, quelles qu’elles soient. Ces derniers jours, avec cette pandémie qui nous touche tous, de Pékin à Paris, de Madrid à Barcelone, de New York à Moscou, de Rome au Cap, c’est l’humanité elle-même qui est attaquée. Au-delà de toutes nos différences, de toutes nos singularités, de tous nos particularismes physiques, culturels, politiques, historiques, c’est ce que nous avons en commun qui est aujourd’hui touché. Autrement dit, ce qui nous unit au-delà des frontières physiques ou psychologiques. Alors, oui aujourd’hui, « je suis Américain », « je suis Charlie », « je suis Paris », mais au-delà de tout çà, « je suis humain ; je suis l’humanité! ».